Face à la guerre en Ukraine, la France subit une crise énergétique majeure dont le point culminant est attendu cet hiver. Le gouvernement français et les ménages se préparent à une explosion des prix du gaz et de l’électricité. Pour les professionnels des industries alimentaires, dont la consommation en électricité est exorbitante, les conséquences de la crise s’annoncent terribles.

D’une part, la crise énergétique qui touche le pays est une conséquence de la situation du parc nucléaire de l'Hexagone, notamment en raison de la maintenance de nombreux réacteurs. Parmi les 56 présents sur le territoire, 28 sont à l’arrêt. D’autre part, le conflit qui touche l’Ukraine doit aussi être pointé du doigt. La Russie, qui représente 17% des approvisionnements en gaz importés en France, a décidé de couper le robinet. Or, on se tourne vers les centrales à gaz quand le nucléaire est défaillant.

On constate que les deux énergies sont extrêmement liées : 20% du gaz utilisé en France sert à la production d’électricité et au chauffage. La crise énergétique a engendré une augmentation considérable des prix de gros de l’électricité en Europe, pouvant parfois passer de moins de 50 euros à plus de 1 000 euros le mégawatt/heure après l’invasion russe de l’Ukraine en février dernier. En 2020, la consommation électrique des industries alimentaires atteignait plus de 17 millions de mégawatt/heure.

Une partie des inquiétudes réside dans la spéculation : "[Les acheteurs] sont en train de retenir le scénario du pire pour tous les jours ouvrés de l'hiver. Or, nous n'en sommes pas du tout là", s’inquiète Xavier Piechaczyk*,* le patron de la RTE (Réseau de Transport d’Électricité).

Nous avons décidé de nous pencher sur le cas des entreprises de l’industrie alimentaire, extrêmement significatif pour rendre compte de la situation délétère dans laquelle se trouve le pays : c’est le secteur qui consommait le plus d'électricité en 2020 en France, juste devant l’industrie chimique, et significativement plus énergivore que les autres industries nationales.

[Les acheteurs] sont en train de retenir le scénario du pire pour tous les jours ouvrés de l'hiver. Or, nous n'en sommes pas du tout là

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Face à cette situation, le gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire qui limite l’augmentation des prix à 15%. Il entrera en vigueur à partir de 2023. Toutefois, cette hausse, deux à trois fois supérieure à l’inflation, demeure historique, sans oublier l’imperfection de ce dispositif au niveau des entreprises, qui concerne seulement les TPE (très petites entreprises).

Jean-Philippe André, président de l’association nationale des industries alimentaires, qui représente plus de 16 000 entreprises dont 98% de PME (petites et moyennes entreprises), tire la sonnette d’alarme. Il souhaite que des mesures d'urgence interviennent et craint un arrêt de la production de certains industriels. “Nous sommes confrontés à une situation inédite depuis plus de 40 ans, à un véritable changement de paradigme pour nos chaînes d'approvisionnement alimentaire, fondées sur un monde stable et abondant en train de disparaître", résume Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, qui réunit quelque 2 200 coopératives agricoles et agroalimentaires françaises.

Nous sommes confrontés à une situation inédite depuis plus de 40 ans, à un véritable changement de paradigme pour nos chaînes d'approvisionnement alimentaire, fondées sur un monde stable et abondant en train de disparaître"

Nombreuses sont les entreprises qui n’entrent pas dans le périmètre du bouclier tarifaire. Elles seront donc en première ligne face à une flambée des prix, ce qui risque de rapidement les mettre en difficulté. Pour rappel, les entreprises alimentaires emploient plus de 350 000 personnes. Parmi les TPE, des exceptions subsistent. En effet, toutes ne bénéficieront pas de cette protection en raison du critère défini par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Ce dernier demande une utilisation inférieure à 36 kilovoltampère (KVA), impossible à respecter lorsqu’une activité implique l’usage d'un "four, de chambres réfrigérées, ou d'une machine à pétrin".

Le délégué général du SDI (syndicat des indépendants et des TPE) Jean-Guilhem Darré souligne que : "les boulangers sont les plus touchés, car utilisent plusieurs de ces machines. Mais même les fleuristes, les bouchers-charcutiers, les traiteurs, ainsi que les petites surfaces de vente alimentaire. Actuellement, c’est le plan de résilience qui sert de solution de repli. Il consiste en une aide de 3 millions d’euros pour toutes les entreprises dont les dépenses énergétiques représentent 3 % du chiffre d’affaires en 2021. Autre condition, les factures en électricité doivent avoir doublé par rapport à l’année dernière. Le représentant du SDI estime que les critères à cocher sont trop complexes, et souhaite que le bouclier tarifaire soit élargi à l’ensemble des TPE sans distinction. **

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En France métropolitaine, le secteur alimentaire sera fortement impacté par la hausse des prix de l’électricité. En fonction du poids de cette industrie pour les régions, elles ne seront pas toutes logées à la même enseigne. C'est l’Auvergne Rhône-Alpes qui est en première ligne, avec près de 490 entreprises non couvertes par le bouclier tarifaire, suivie des 418 entreprises bretonnes.

Au sein de ce deuxième territoire, l’agroalimentaire est classé premier secteur économique, et contracte près de 40 % des emplois industriels de la région, soit 70 000 personnes. Ce secteur est vital pour la Bretagne, mais aussi pour l’ensemble du territoire national comme l’indique l’ABEA (association des entreprises agroalimentaires bretonnes) dans un communiqué : « les entreprises agroalimentaires bretonnes nourrissent chaque jour un français sur trois. Aussi, un ralentissement ou un arrêt de l’activité de fabrication conduira inévitablement à une crise économique majeure pour notre région et à un affaiblissement de la souveraineté alimentaire française”.

Demande d’aides de la part des professionnels

Pour faire face aux difficultés actuelles et à venir, les professionnels du secteur se mobilisent. Jean-Philippe André (ANIA) plaide pour un plafonnement des prix de l’énergie, et pour une révision des critères d'éligibilité des aides. Il estime nécessaire que les gouvernements agissent au niveau européen. L’ABEA demande également l’aide des pouvoirs publics à travers des propositions précises : un plafonnement du prix de l’énergie à l’échelle européenne, et l’évolution immédiate du dispositif d’aide d’urgence gaz-électricité, inadapté et inopérant pour les entreprises du secteur alimentaire**.**